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La peinture de Wang Yancheng
par Peng Feng
Dans son atelier de la banlieue est de Pékin, Wang Yancheng regarde une toile immense, perplexe, opiniâtre. En général, l'achèvement d'un tableau nécessite plusieurs mois d'efforts soutenus. Aux yeux d'un profane, une ou deux heures devraient suffire à étaler ces couleurs. Que peut donc bien attendre Wang Yancheng devant sa toile ?
Si vous cherchez la réponse à cette question, vous devez connaître la carrière de Wang Yancheng. Bien souvent, pour comprendre les actions présentes, il faut remonter le cours du temps. D'ailleurs, quel que soit le sens qu'on lui donne, le parcours personnel est toujours un concentré de la culture du moment. Fort de ces considérations, je vais tenter de m'appuyer sur les vues de Deng Yizhe (1892-1973) – un théoricien de l'art de la génération précédente – concernant l'histoire de la peinture chinoise, pour apprécier l'évolution artistique de Wang Yancheng. Deng Yizhe fut un éminent spécialiste de la calligraphie et de la peinture. Cinquième petit-fils de Deng Shiru (1743-1805), le grand calligraphe de l'époque Qing (1644-1911), il intégra, dans sa jeunesse, l'université Waseda au Japon et la Columbia University de New York. À son retour, il fut nommé professeur d'esthétique et d'histoire de l'art à l'université de Pékin. Selon son expérience, Deng Yizhe distinguait quatre phases dans l'évolution de la peinture chinoise : « substantielle », « formelle », « spirituelle » et « principielle ». La phase substantielle remonte aux récipients en céramique, en jade, en bronze ou en laque, qui originairement servaient de support à la représentation. Par la suite, cette dernière gagna son autonomie en se séparant du fond : commença alors la phase formelle ; puis, par le truchement de la figure, la forme entra dans une phase spirituelle ; enfin, l'idée pénétra l'énergie vitale et atteignit à la phase principielle. Il faut bien admettre que la progression historique proposée par Deng Yizhe offre des différences avec la peinture de Wang Yancheng. Toutefois, si l'on garde à l'esprit ce que ces quatre phases ont d'essentiel, on s'aperçoit qu'elles apportent un éclairage inattendu à son œuvre.
Dans sa jeunesse, Wang Yancheng étudia la peinture réaliste, usant des deux dimensions du plan pour un résultat en trois dimensions. Dès ce moment-là, il manifesta l'étendue de son talent : alors qu'il était encore à l'université, il participa, en 1981, à la deuxième exposition nationale des jeunes artistes où il obtint le troisième prix. En s'appuyant sur la terminologie de Deng Yizhe, les œuvres de cette époque pourraient être qualifiées de « substantielles ». Wang Yancheng travaillait alors la surface pour obtenir un effet de modelé et de profondeur. L'effet en question présente certes des différences avec la première phase de Deng Yizhe, mais si nous négligeons ces différences, considérer comme substantielle la peinture de cette période semble convenir tout à fait.
En 1985, après son diplôme, Wang Yancheng enseigna à l'École des Beaux-Arts du Shandong. Il possédait alors une grande maîtrise de la peinture réaliste, mais avec la « nouvelle vague de 85 », il éprouvait une grande soif de connaissance théorique. De 1986 à 1988, il étudia l'histoire de l'art à l'École nationale des Beaux-Arts, où il fut initié aux nouvelles tendances de l'art contemporain. D'après Clement Greenberg (1909-1994), la peinture devait s'affranchir des limites du modelé et de la structure pour revenir à ses caractéristiques propres, ce que l'on appelle la « planéité du plan pictural » (picture plane). C'est ainsi que sous l'influence du courant de pensée du moment, Wang Yancheng entreprit d'explorer l'abstraction du plan pictural. Son tableau abstrait, « L'urgence du déséquilibre », fut sélectionné pour la fameuse « Exposition d'art chinois contemporain » de 1989. En 1990, Wang Yancheng émigra en France et s'inscrivit au département des Arts Plastiques de l'université de Montpellier où il étudia à la fois la théorie et la pratique de l'art occidental. Après son diplôme, obtenu en 1993, il s'établit à Paris, où il eut des liens très étroits avec les deux grands maîtres de l'art abstrait, Chu Teh-Chun et Zao Wou-Ki, qui exercèrent sur lui une profonde influence. À ce moment de sa recherche, Wang Yancheng était principalement concentré sur la planéité de la figure et de la forme. En se référant à Deng Yizhe, cette étape pourrait être désignée comme « formelle », à ceci près que ce que ce dernier appelle phase « formelle » dans la peinture chinoise concerne l'image libérée de ses entraves, là où, dans la peinture contemporaine, il s'agit de la figure affranchie des choses, de sorte que la forme et la couleur soient librement associées.
Chu Teh-Chun et Zao Wou-Ki s'étaient imposés en Occident, non seulement parce qu'ils étaient partie prenante de l'art de leur temps, mais aussi parce qu'ils apportaient aux artistes occidentaux un souffle nouveau venu de Chine. Ces deux artistes ont su créer à eux seuls une forme particulière d'abstraction lyrique qui se distingue autant de la froideur du minimalisme que de la fièvre de l'expressionnisme abstrait. L'art de Chu Teh-Chun et de Zao Wou-Ki possède une intensité poétique particulière à l'Orient qui est à la source de l'esthétique traditionnelle chinoise. Ce type d'« inspiration » ne se borne pas à la poésie ; il touche également la peinture, la calligraphie, l'art des jardins, la musique et la danse, l'opéra et le théâtre. Suivant Deng Yizhe, l'apogée de ce souffle formel tend vers la phase « spirituelle ». L'idée étant le but de la pensée, la peinture portée par l'inspiration est représentation de l'idée. Dans l'histoire de l'art chinois, la discipline qui incarne ce genre d'inspiration est la peinture de paysages.
La peinture de paysage en Chine n'a rien à voir avec son pendant réaliste occidental ; à la différence de celui-ci, elle peut être tenue comme « spirituelle ». L'esthétique chinoise contemple le microcosme à partir du macrocosme. Si l'on veut résumer les caractéristiques de cette forme d'art : l'esprit correspond au macrocosme, le paysage au microcosme. L'abstraction lyrique de Chu Teh-Chun et Zao Wou-Ki et leur évocation de la grandeur du cosmos ne sont pas sans rapport avec la quête de l'esprit sur le lien unissant macrocosme et microcosme dans le paysage chinois. Wang Yancheng se pose comme le continuateur de ces deux grands peintres. Son œuvre qui explore la profondeur poétique de l'abstraction lyrique a éveillé très tôt l'intérêt du milieu de l'art en Occident où il est considéré comme la nouvelle gloire montante de la peinture chinoise.
Wang Yancheng n'a pas renoncé pour autant à poursuivre ses recherches. Ses longues méditations dans l'atelier de Pékin lui ont permis peu à peu de s'éloigner de l'abstraction lyrique. Notre peintre a commencé à ne plus se satisfaire de cette bohème poétique – une poétique de l'ego refermé sur lui-même – pour se tourner vers un monde beaucoup plus secret, un monde qui dépasse celui du moi, d'où le moi est exclu, et d'où l'on n'est jamais sûr de revenir. Chez quelqu'un qui a connu la réussite de Wang Yancheng, ce revirement n'est pas sans danger. En fin de compte, de quel monde sommes-nous en train de parler ? Dans l'art chinois, on considère généralement l'inspiration comme un seuil indépassable. Deng Yizhe lui-même approuve cette façon de voir les choses. Pourtant il énonce que l'art chinois comprend une catégorie particulière qui a trait à la recherche du « principe ». Si l'on se fonde sur son système, l'univers mystérieux que cherche Wang Yancheng correspond bien à ce dernier. Le principe est au-delà de l'esprit ; toutefois ce que Deng Yizhe appelle « principe » n'a rien à voir avec l'idéalisme platonicien ni avec une quelconque catégorie du « tout autre », mais avec ce qui dans notre existence est au cœur même du « monde présent » : il ne s'agit pas du monde au sens restreint et limité, mais du monde dans son prolongement indéfini, son déploiement, son expansion, sa génération, son évolution, montrant combien il est insaisissable, irreprésentable, ténébreux et profond, et combien ses dimensions sont insondables. Comme ce monde obscur dépasse les limites de l'entendement, il ne saurait être l'objet de l'entendement, encore moins être contrôlé par lui, mais il peut devenir celui d'un échange, d'un dialogue avec la conscience. Voilà pourquoi Deng Yizhe qualifie de « principielle » cette phase qui transcende l'esprit. Dans la peinture chinoise, le sentiment est lié à l'« inspiration », ce qui relève du principe est « l'énergie vitale ». L'inspiration consiste à voir le microcosme à partir du macrocosme, l'énergie vitale, à voir le macrocosme à partir du macrocosme ; l'inspiration consiste à voir l'art de l'intérieur de l'art, l'énergie vitale, à voir l'art de l'extérieur de l'art. Regarder le microcosme sous l'angle du macrocosme revient à concevoir la matière à partir de l'idée ; regarder le macrocosme depuis le macrocosme consiste à regarder l'univers sous l'angle de l'esprit. L'esprit est grand et l'univers aussi, et c'est parce qu'il en est ainsi que Deng Yizhe considère le principe comme distinct de l'esprit : l'esprit, c'est le pouvoir de la pensée sur la matière ; le principe, c'est l'harmonie de l'esprit dans l'univers. À ce degré-là, l'esprit n'a plus rien à voir avec le moi, mais avec la constance de la « volonté du Ciel ». L'être n'est plus le moi individuel conditionné par son ego, mais le « moi authentique », le Soi. Pour cette raison, quand la peinture touche au principe, elle n'est plus l'expression d'une subjectivité, elle n'est plus dans une inspiration poétique individuelle, mais elle approche d'une vérité objective et profonde. Un autre théoricien de l'art, Zong Baihua (1897-1986), qui traite également de l'objectivité dans la peinture chinoise, l'expose clairement : « Le courant occidental impressionniste, de fait, est un point de vue personnel et subjectif, l'expressionnisme, l'affirmation subjective d'un sentiment chimérique, là où la peinture chinoise est l'expression objective de la nature vitale : elles ne sauraient être mises sur le même plan. »
Wang Yancheng prit congé sans regret de l'abstraction lyrique, aspiré vers ce trou noir où se tient le mystère de l'univers. Dans ses œuvres, les couleurs lumineuses se sont peu à peu estompées pour approcher symboliquement des subtilités de la couleur noire. Wang Yancheng a délaissé son ego, s'ouvrant à un monde autrement complexe, celui de l'inexprimable. Quand un artiste parvient à se tenir face à lui, nous pouvons nous représenter la joie qui l'habite, mais aussi le désespoir. La joie vient de ce qu'il touche à l'immensité du principe, le désespoir du sentiment d'être privé de moyens, incapable de l'exprimer, tout en en ressentant l'urgence. Nous comprenons mieux désormais la perplexité de Wang Yancheng devant sa toile. Dans ces moments où il veut peindre sans savoir par où commencer, le tableau doit surgir de lui-même. Les penseurs chinois ont souvent été confrontés à ce dilemme. Tel Zhuangzi dans ses « Propos allusifs » (chap. XXVII) : « Avant le sujet existe une nature première. Cette nature ne s'identifie pas à lui, il ne s'identifie pas elle. Il faut donc se garder de parler en tant que sujet. Ne pas parler en tant sujet revient à dire le tout sans émettre une parole, ne rien dire et que tout soit dit. »
Comment Wang Yancheng a-t-il pu résoudre semblable difficulté ? À la manière des sages : pour exprimer l'inexprimable, le meilleur moyen est la négation ou, suivant le mot de Feng Youlan (1895-1990), « la transgression ». Si l'on songe à la carrière de Wang Yancheng, la méthode qu'il a adoptée est précisément négative. Rejeter la substance par la forme, la forme par l'esprit, et l'esprit en tendant vers le principe.
La première négation de Wang Yancheng concerne la figure, la seconde concerne l'idée. La négation de la figure est chose aisée, celle de l'idée est plus complexe, car nier une idée est encore une idée. C'est pourquoi la négation de l'idée et celle du moi ne pourraient s'obtenir d'un seul trait : elles sont le résultat d'une longue ascèse. Les anciens Chinois appelaient « impassibilité » ce genre d'ascèse. Ainsi de Cai Yong (133-192) dans son Traité de calligraphie lorsqu'il déclare : « Le calligraphe doit être impassible. Au moment d'écrire, son esprit est ouvert, sa fantaisie se libère. Si les circonstances l'oppressent, eût-il un pinceau en poils de lièvre de Zhongshan, rien de bon n'en sortira. Il faut donc s'asseoir paisiblement, se recueillir, ne parler à personne, concentrer son attention, se tenir comme face à l'empereur, pour devenir un bon calligraphe. » Ouvrir son esprit consiste donc à devenir impassible, à s'affranchir des contraintes, à se détacher des choses, à délivrer son âme de toute forme d'intérêts, de concepts, de desseins. Mais cette impassibilité n'est pas de l'indifférence. Elle vise à délivrer l'homme des entraves de la subjectivité, à transformer le désir de l'ego en “volonté du Ciel”, à redonner à l'être « conditionné » son état « primordial ».
L'état primordial ou « volonté du Ciel », selon les termes de Feng Youlan, est la « pensée de l'univers ». Lorsque l'esprit pénètre l'univers, il se sépare des ténèbres. À travers un polissage continu – fait de destructions, d'ajouts, de recouvrements – Wang Yancheng a apporté fluidité et harmonie à l'hermétisme de la couleur noire, lui donnant un mouvement respiratoire, une vibration vitale. L'esprit ne saurait conquérir l'univers car ils sont aussi vastes l'un que l'autre, et c'est précisément pour cela que l'univers ne pourrait dépasser l'esprit. L'esprit et l'univers se manifestent l'un par l'autre, se transformant en souffle et en énergie à travers leurs mouvements et leurs échanges. Ainsi, ce qui apparaît dans la peinture de Wang Yancheng n'est ni la reproduction d'une figure, ni l'expression d'un sentiment, mais l'apparition et la disparition du souffle vital, son émergence et son effacement, sa condensation et sa dispersion, son mouvement perpétuel. D'un point de vue global, quel mot pourrait mieux convenir que celui d'« énergie vitale » ? Cette énergie que Deng Yizhe discernait dans le paysage chinois resurgit dans l'abstraction de Wang Yancheng. Ce dernier qui vécut longtemps en Europe a trouvé dans sa matrice culturelle la source et la puissance de sa création – où l'on voit la résistance de sa nature première. Pour autant, Wang Yancheng ne s'est pas perdu dans les arcanes ou dans les divagations de sa culture. Au fil de l'évolution de son processus créatif, le souffle vital n'est pas resté une notion isolée sur son territoire, mais un concept ancré dans le présent, ouvert au dialogue avec la science et la culture de son époque. Au moment où la mondialisation rencontre certaines difficultés en Occident, Wang Yancheng s'emploie à tirer de l'esthétique chinoise traditionnelle des valeurs universelles, ce qui montre en un certain sens ce que cette culture possède de tolérance et d'ouverture. Qui pourra dire que l'art pur n'a rien à voir avec la politique ? Il est probable au fond que l'art doit s'affranchir de la politique pour déployer son efficacité politique.
Salle de l'Harmonie de l'université de Pékin, le 10 février 2015
Traduction d'André Christen
作者:彭锋(法)
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