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La poésie du quotidien chez Yang Ermin

  Marie Laureillard

  Université Lumière-Lyon 2

  Institut d’Asie Orientale

  « Quand on couvre une surface avec des couleurs, il faut pouvoir renouveler indéfiniment son jeu, trouver sans cesse de nouvelles combinaisons de formes et de couleurs qui répondent aux exigences de l’émotion. »[1], écrivait Pierre Bonnard. Cette déclaration s’applique pleinement aux œuvres de Yang Ermin, qui cherche à renouveler d’une manière personnelle la peinture à l’encre chinoise par la richesse expressive de la couleur. Chez lui, comme chez Bonnard, l’exaltation des couleurs semble davantage guidée par les états d’âme que par un souci de mimétisme.

  Né à Quyang au Hebei, diplômé de l’Institut d’art de Nankin, Yang Ermin a parfait sa formation au Japon, qui lui a sans doute donné le goût d’une peinture à tendance décorative. Spécialiste de la peinture chinoise traditionnelle, cet artiste érudit, titulaire d’un doctorat d’esthétique, devenu entre-temps directeur de l’Institut de la nouvelle peinture à l’encre et à l’aquarelle de l’Université des arts de Nankin, témoigne également à travers son œuvre d’une solide connaissance de la peinture à l’huile, en particulier de l’impressionnisme, du post-impressionnisme et du fauvisme. A la différence de Bonnard, cependant, il n’emploie pas les couleurs éclatantes, brillantes et denses de la peinture à l’huile, mais les pigments de la peinture chinoise, proches de l’aquarelle, plus transparents, plus mats, plus légers. Absorbées par le papier xuan, ces couleurs créent une atmosphère très différente, légèrement vaporeuse. Comme le déclare Zhai Mo, il parvient ainsi à renforcer la peinture chinoise sous l’influence occidentale et à adoucir la couleur occidentale au moyen de l’encre chinoise.

  Par cette quête de renouveau, Yang Ermin s’inscrit dans la lignée d’un Lin Fengmian, qui, après avoir étudié en France de 1918 à 1925, sut opérer en son temps une harmonieuse synthèse entre traditions picturales chinoise et européenne. Il innove à son tour en mettant l’accent sur la couleur, mais avec une palette plus sobre, aux tonalités moins vives, manifestant une prédilection pour les sujets intimistes, les scènes d’intérieur et les natures mortes. Car ce qui frappe surtout chez lui, c’est la manière dont il parvient à transfigurer le quotidien.

  De ce quotidien sublimé émane une intense poésie, qu’il s’agisse de natures mortes ou de paysages. Dès 1992, l’artiste puise son inspiration dans des scènes domestiques, qu’il parsème de fleurs et de fruits : un bouquet de chrysanthèmes blancs ou de tournesols, quelques pommes ou pêches, un panier d’azeroles, une touffe de feuillages rouges, une gerbe d’amarantes, une branche de glycine le captivent.

  Alors que nombre d’artistes chinois contemporains abordent des questions majeures, souvent douloureuses, la peinture de Yang Ermin semble apaisée, sereine, sans aucun signe d’agitation, de désespoir ou de folie, comme le souligne Shui Tianzhong. Cette retenue, cette maîtrise de soi rappellent l’état d’esprit auquel aspiraient les lettrés de l’ancien temps, leur quête d’harmonie avec le monde. On pourrait même trouver certains accents taoïstes dans la poésie de Yang Ermin, qui conjugue les talents du poète à ceux du peintre. Un bref poème, intitulé Le goût de la liberté (自由的滋味) (2010) se compose ainsi de trois vers qui rappellent la spontanéité et l’adéquation des actes à la marche du monde prônées par Zhuangzi, car c’est en épousant les mouvements de l’eau que le dauphin parvient à une parfaite liberté, tel le sage se conformant à l’ordre des choses :

  Qu’il est agréable d’être un dauphin

  Libre et insouciant

  Qui peut nager les yeux fermés

  Fruits et récipient (果物与器皿) (86 x 70 cm, 1998), tableau conservé au Musée d’art national de Chine, révèle une science achevée de la composition et des couleurs. Les lattes du volet, le cadre de la fenêtre, les plis de la nappe forment des lignes droites créant un rythme que viennent rompre les courbes de la table ainsi que du vase tripode et des fruits qui y sont posés. Yang Ermin, sans renoncer aux contours à l’encre noire, marie harmonieusement les couleurs chaudes et froides : les touches bleues et orangées se mêlent sur les mêmes objets, conférant un volume au vase, une valeur décorative au volet, un aspect velouté aux fruits. On voit ici avec quelle liberté Yang traite les couleurs. Cette fantaisie se retrouve dans ses poèmes, que le poète Yang Lian qualifie de « chromatiques » (色彩词). Ainsi, dans La brume se lève (起雾了) (2011) apparaît un corbeau rouge :

  Dans l’hiver noir

  Le corbeau rouge du haut de la cime neigeuse se penche

  D’une patte il tapote l’épaule de son geôlier

  Nous reviendrons plus loin sur la dimension coloriste de la poésie de Yang Ermin. La patiente étude des fruits et de leurs riches coloris se retrouve dans une œuvre comme Ciel silencieux (寂静的天) (70 x 68 cm, 1997), où la simplicité d’un décor à la Matisse, réduit à quelques plans colorés juxtaposés, fait ressortir toutes les nuances des fruits et des fleurs. Le bouquet, à la jointure des différents plans, ainsi que les fruits ponctuant la surface noire de la table, retiennent l’attention par la variété de leurs couleurs. Dans Mi-automne (中秋) (82 x 77 cm, 1995), les fleurs de tournesol au modelé délicat, plongées dans un vase blanc traité en aplat, se détachent sans souci de perspective sur un fond de carrelage orangé. Là encore, l’accent est mis sur la magnificence des fleurs.

  On ne peut s’empêcher de songer à la passion que leur portait Monet, auquel Yang Ermin se réfère d’ailleurs explicitement dans une œuvre intitulée Paysage créé d’après Monet (以莫奈作品为蓝本的风景) (77 x 83 cm, 1995). Mais contrairement à ce dernier, Yang ne cherche pas à dissoudre les éléments dans la couleur et la lumière. S’il sait également jouer harmonieusement des complémentaires, chaque fleur, chaque herbe reste distincte ; le treillis du mur, les dalles du sentier, les grillages sont détaillés, montrant combien l’artiste est attaché à la ligne de pinceau chère aux peintres chinois traditionnels.

  Dans Fleurs de printemps et fruits d’automne (春华秋实) (136 x 97 cm, 2007), Yang Ermin prouve encore une fois sa maîtrise des effets décoratifs par une composition japonisante juxtaposant des plans colorés aux valeurs contrastées. Au premier plan se déploie une table blanche striée de lignes parallèles, sur laquelle est posée un panier rempli de petits fruits rouges ressemblant à des azeroles et un vase élancé d’où jaillissent quelques fleurs roses. Les deux objets projettent leurs ombres sur la table claire, auxquelles fait écho le sol sombre. La partie supérieure de l’image se divise en deux plans verticaux : l’un, marron, suggérant la texture du bois par ses lignes parallèles, l’autre blanchâtre parsemé de taches roses pouvant figurer l’embrasure d’une fenêtre. Si le panier rempli de fruits rouges fait songer à certaines œuvres de Qi Baishi par le contraste des couleurs vives et de l’encre noire, le tracé épuré volontairement maladroit du vase pourrait renvoyer à un goût propre à l’esthétique chinoise et japonaise pour l’imperfection et l’irrégularité. Yang Ermin n’hésite pas à adopter une perspective multiple, tantôt linéaire, tantôt écrasée, distordue, selon les besoins de la composition.

  Dans Souvenir rose (玫瑰色的记忆) (90 x 86 cm, 2005), on retrouve une même simplification des volumes et une composition pareillement structurée par de larges aplats de couleur, des verticales et des horizontales, une alternance de ronds et de rectangles et le dialogue harmonieux des coloris qui atteignent leur paroxysme, leur maximum d’intensité avec le rouge sombre des fruits vers lequel est automatiquement attiré le regard. Ces multiples représentations de fleurs et de fruits suggèrent une douceur de vivre, un certain hédonisme.

  On notera la présence récurrente de fenêtres, objet lyrique par excellence marquant une transition entre le dedans et le dehors, entre l’ici et l’ailleurs, entre l’intimité et l’extériorité. La fenêtre, qui favorise l’imagination et la rêverie, peut ouvrir sur un espace indistinct, sur un ciel parcouru de quelques nuages, ou sur un jardin. Elle peut aussi simplement jouer un rôle structurant dans la composition. Dans Feuilles rouges (红叶) (69 x 68 cm, 2001), elle ne laisse rien voir du dehors, se contentant d’apporter un cadre fait de lignes verticales et de diagonales qui vient mettre en valeur l’élément essentiel : le bouquet de feuillage rouge sombre, volontairement décentré, auquel répondent quelques fruits de même teinte et auquel s’opposent deux triangles de lumière, l’un bleu clair, l’autre blanc, s’inscrivant dans l’encadrement de la fenêtre.

  Dans Amarantes crêtes de coq à la fenêtre (窗前的鸡冠花) (68 x 68 cm, 1996), les inflorescences compactes rose tendre, étalées en éventail, se découpent devant une fenêtre ouvrant sur un paysage stylisé composé de trois bandes superposées de couleur verte, bleue et blanche, créant une tension optique entre les aplats de couleur du fond et le modelé des fleurs, comme si un objectif photographique se concentrait sur le premier plan en laissant le lointain un peu flou. Le cadrage audacieux fait songer à une estampe japonaise.

  Une même exubérance de la végétation attire l’œil dans une œuvre de grand format intitulée Lieu retiré 远方(138 x 150 cm, 2000), où une glycine blanc-mauve recouvre généreusement le mur d’une maison. Les lignes serpentines de branches au feuillage vert tendre presque translucide contrastent avec la rectitude des briques grises et du cadre de la fenêtre qui reflète des nuages dans l’angle inférieur gauche de l’image. A la différence d’un Ren Bonian, qui dote le motif de la glycine d’une certaine transparence, Yang Ermin suggère par une touche dense l’épaisseur, la plénitude et l’éclat lumineux des grappes fleuries.

  Parfois, la perspective s’élargit, et c’est une pièce ou un salon que l’artiste nous donne à voir. Intérieur (室内) (66 x 122 cm, 1998) est constitué d’un gros plan en plongée sur un fauteuil à côté d’un lit dont on ne voit que l’extrémité, tous deux recouverts de tissus chamarrés dont les motifs géométriques renvoient à ceux du tapis, du mur et du parquet. Au tout premier plan jaillit une gerbe de branchages vert sombre ornée de quelques petites fleurs blanches, auquel répond un bouquet rose au second plan. De ce chatoiement de couleurs, de cette composition asymétrique jouant sur les diagonales, émane une sensation de quiétude, de repos et de confort qui évoque le mot célèbre de Matisse :

  « Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaires aussi bien que pour l’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques. »[2]

  Peintre de la sensation, Yang Ermin campe parfois quelques figures dans ses intérieurs tranquilles. Ainsi, dans Café (咖啡店) (125 x 97,5 cm, 1998), une femme se tient debout derrière un bar, légèrement penchée, le menton enfoui dans un foulard noir, les deux mains jointes. De cette pose pensive, recueillie, se dégage une impression de mélancolie et de mystère. A quoi songe-t-elle ? Autour de cette figure solitaire, immobile, au vêtement sombre, des motifs géométriques viennent animer les surfaces. Les verticales du bar, de la commode, d’un tableau accroché au mur, les courbes des fruits, de deux bouquets, des tabourets du bar structurent la composition. Le tableau crée une mise en abyme suivant un procédé qu’affectionne l’artiste. Dans Vacances (假日) 69 x 68 cm, 2004), une femme debout sur un sol carrelé, la tête inclinée vers l’épaule, serre un gros bouquet dans ses bras. A côté d’elle, on aperçoit des meubles et au fond, une vaste baie vitrée dont on distingue le cadre, ouvrant sur un paysage bleuté : l’artiste focalise son attention sur la figure féminine et les fleurs, laissant volontairement le reste un peu flou.

  Ou bien ce sont les paysages entrevus par les fenêtres qui deviennent le principal sujet de l’œuvre. Parfois ornés d’arbres en fleurs ou au feuillages bariolé, ils sont transfigurés par l’usage de la couleur. Des glaïeuls rouges au modelé délicat, à la beauté saisissante, se dressent par exemple sous un ciel bleu-mauve où courent des nuages cernés d’un trait noir stylisé, devant une lande jaune-orangé dans Ciel bleu (蓝天) (72 x 79 cm, 1999) : l’image rappelle certaines estampes japonaises mettant l’accent sur un premier plan floral, ou encore les innombrables études qu’Emil Nolde consacra à son jardin.

  Les monts Taihang, qui ont inspiré à Yang Ermin un long poème lyrique, se parent des couleurs les plus inattendues : les versants roses, mauves, pourpres, vert foncé, bleus, ocres, se succèdent à perte de vue dans une symphonie envoûtante. Le traitement des volumes et les coloris pourraient faire penser à certains paysages bleus et verts antérieurs aux Song où se dressent des formations rocheuses à pic au bord de l’eau, mais les tonalités rougeoyantes, l’absence de nappe de brume et la présence fréquente d’arbres en fleurs chez Yang Ermin les en distinguent. La profusion de couleurs peut également évoquer Ren Xiong et sa Chaumière du lac Fan, bien que ce soit la végétation plutôt que les pentes montagneuses qui se colore chez ce dernier.

  Parfois, c’est un torrent rempli d’écume, à la palette plus sobre, qui se déploie devant nos yeux, ou encore un pavillon de la Cité Interdite rehaussé par un arbre en fleurs, un tronçon de la Grande muraille à laquelle font écho les lignes sinueuses des collines et des nuées, ou, plus inhabituelles, les tours bigarrées de Manhattan se reflétant dans l’eau.

  Les poèmes très imagés, qui pourraient évoquer par là ceux de Yang Lian, confirment le tempérament lyrique de Yang Ermin et sa prédilection pour la couleur et la nature.

  Le manteau doré dont elle était revêtue

  Avait été teinté de rouge

  Pour mieux ressortir sur le ciel bleu

  (J’ai déjà attendu trop longtemps, 我已经等得太久, mars 2011)

  Je m’éloigne

  La seule couleur et ta solitude

  Se fondent dans le brouillard bleu de l’hiver

  Dans la mer de montagnes blanc neige

  Une colombe rouge dans le bec, l’oiseau gris de l’espace approche à tire-d’aile

  (Marche dans l’attente,在期待中行走, janvier 2011)

  La poésie de Yang Ermin témoignent également d’une riche imagination et d’une culture éclectique. Ce bleu, c’est la mer des douleurs (那蓝色是苦海), par ses visions cataclysmiques, semble bien éloigné de la sérénité qui imprègne la peinture de Yang Ermin. Ce poème mêle références mythologiques (avec Nüwa, déesse créatrice qui façonna les premiers hommes et répara le ciel brisé), bouddhiques (avec la notion de « mer des douleurs ») ou taoïstes (avec la référence à l’alchimie, où sont reconstituées toutes les étapes de la cosmogonie), tout en mettant l’accent sur les couleurs :

  Ce bleu, c’est la mer des douleurs

  La forêt émeraude au-delà du jardin

  S’embrase

  Ce bleu, c’est la mer des douleurs

  Le ciel s’effondre

  Cailloux, gravats

  Fourneau d’alchimiste brisé

  L’étang de magnolias dorés de la lune

  Déborde

  Nüwa vole jusque-là

  Pour soulever le ciel déchu

  (mars 2011)

  L’importance que Yang Ermin accorde à la couleur ainsi que son penchant pour le décoratif montrent donc qu’il prend ses distances avec la tradition picturale chinoise, qui depuis la dynastie des Song s’était concentrée sur l’encre noire et ses nuances. Yang Ermin a également tendance à saturer de couleurs la surface de ses œuvres, remettant en cause la prééminence du vide propre à la peinture chinoise classique. L’usage de l’encre et du lavis donne une extrême fluidité au tracé et n’empêche pas l’artiste de conférer une extrême luminosité aux éléments qu’il veut mettre en valeur, comme un bouquet blanc ou une femme nue. Dans ses compositions sophistiquées et méticuleuses à la construction rigoureuse, dépourvues de clinquant et de tape-à-l’œil, Yang Ermin n’introduit aucun élément autobiographique évident. Sa quête de vérité et de beauté se concentre sur l’univers végétal, qui illumine le quotidien. Comme le souligne avec justesse Tao Yongbai, il cherche avant tout à transcender la vulgarité et la superficialité de la vie moderne en nous entraînant dans un monde fait de calme et de sérénité. Sous le pinceau de Yang Ermin, toutes ces scènes en apparence banales sont magnifiées, donnant lieu à une explosion de couleurs dont la poésie et le raffinement nous séduisent.

  [1] Cité par Antoine Terrasse, Bonnard, Paris : Gallimard, 1988, p. 233.

  [2] Henri Matisse, Notes d’un peintre, Paris : Editions du Centre Pompidou, 2012, p. 35.

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